ETAT DES YEUX | PAR AMONTS ET PAR MOTS | écriture invasive
mercredi 12 janvier 2022
On peut toujours améliorer un texte
Le rendre plus fluide plus digeste
Autrefois dans le village il y avait des fontaines en pierre surmontées de leur nom gravé sur des plaques aux allures d'épithaphes funéraires. C'était prémonitoire. En dessous les fontaines trônaient ,certaines aussi prétentieuses que des lavoirs, mais elles ont peu à peu disparu, remplacées par des robinets à poussoir , ou carrément enlevées pour économiser l'eau et rationner les touristes. Une laideronne fontaine intermittente dans le style "nous-aussi-en-Province-on-sait-ce-que-c'est-que-l'art-contemporain", a été érigée devant la grosse mairie de pierres de rivière. Elle a clivé l'électorat en-pour- ou-contre à la Dreyfus, et fait encore aujourd'hui un bruit de splash sonore et miteux, qui donne l'impression qu'on va pouvoir boire enfin quelque chose de frais en s'asseyant sur le muret en pierre calcaire taillée au carré. C'est une illusion. Les cafés et restaurants d'en face et autour sont là pour promouvoir l'eau des alpes ou de vals, en petites bouteilles , l'eau du robinet est bourrée de carbonate de calcium et de bactéries escherichia coli en goguette. Ce n'est pourtant pas encore le manque d'eau, la rivière reste généreuse. Plutôt l'absence de moyens techniques pour décontaminer ou déminéraliser et ainsi éviter au passage d'aggraver les affections gastriques saisonnières lorsque la population est multipliée par dix , sans compter les petits malins qui lavent leur bagnole ou arrosent leur jardin avec jubilation. Guerre de l'eau, déjà dans les têtes et les tactiques d'approvisionnement. Dans la garrigue l'eau se cache par peur de l'insolation. Les stations d'épuration ont donc succédé aux drainages rudimentaires, à ciel ouvert ,des caniveaux, certains pestilentiels dans les contre-bas des murailles du bourg médiéval. Les puits sont restés secrètement enclos en des propriétés bien gardées et bien transmises. Le protestantisme jouxtant le catholicisme avec des manières à couteaux tirés. Les puits communs à servitude ont été déclarés insalubres et dertains bouchés. Comme pour la nourriture locale tout a dû passer par les fourches caudines de l'administration et de ses réglementations. Pour s'éclabousser et ripailler heureux il faut se cacher un peu.
L'eau des mots, tiens ! Qu'est-ce que c'est ? C'est la matière emmagasinée ou engorgée d'une source mnésique interne, mais laborieusement apprise au contact des autres générations. L'eau est un bien commun qui se transmet, les mots aussi. L'eau des mots éclabousse également. C'est évident et dérangeant parfois. Ses états sont fluctuants en raison de ce qui la propulse, l'agite, la contient plus ou moins facilement. Une vasque d'eau sans mouvement s'envase très vite. Une phrase sans vitalité en fait de même. C'est la mémoire qui bastonne le vocabulaire, le remue, le soulève et lui réclame toujours plus de vigueur et d'efficacité. Avec les ordinateurs et leurs données partagées, la mémoire individuelle s'annexe une mémoire collective qui grossit à vue d'oeil . Les citernes débordent. Apprivoiser toutes les eaux de déverse, comment faire ? Comment dire ?